On fête aujourd’hui nos grands-mères chéries.
Une fête certes encore un peu commerciale mais qui me donne envie de m’adresser à la mienne. Il y a plus d’un an, je m’étais déjà adressée à elle et à sa fichue maladie d’Alzheimer dans cet article et comme prévu, la maladie a depuis gagné du chemin. Je vous racontais il y a un an que je continuerai à l’aider dans son quotidien si elle ne s’en souvient plus, je lui rappellerai ce qu’elle a mangé ce midi, je lui rappellerai que papa arrive demain, je lui rappellerai que je n’aime pas le chocolat (elle ne s’en est jamais souvenue de toutes façons), je l’aiderai au Triomino, on éviterai le Scrabble si ça devient trop compliqué, on parlerai du passé lointain et de sa grande tante dont elle se souvient si bien, on la rassurerai, on ne la mettrai jamais en difficulté… Le plus important, c’était son sourire quand elle me voyait, ses grands yeux bleus qui pétillaient, cet amour qui transpirait… Le plus important, c’était qu’elle ne m’oublie pas. Et il y a un an, ce n’était jamais le cas. Mais la maladie a gagné du terrain et rares sont les jours où elle me reconnaît du premier coup désormais. Elle reconnaît mon visage, je le vois bien dans ses yeux, mais mon prénom, c’est plus compliqué. Elle me confonds avec ma cousine et à chaque hésitation de sa part devant moi, j’ai l’impression de me prendre un coup de couteau dans le coeur. « Mamie, c’est moi, tu le sais bien, tu ne peux pas oublier, tu ne peux pas m’oublier, pas après tout ce qu’on a vécu… »
Pourquoi ceci a tant d’importance à mes yeux ? Ce n’est que le reflet de la maladie, une maladie qui la fait sûrement souffrir plus que moi (parce que quoi qu’on dise, pour moi, ils en souffrent, tout du moins tant qu’ils ont des instants de lucidité, et ma petite mamie, elle en a encore beaucoup). La reconnaissance n’est qu’un symptôme logique de la maladie. Je ne dois pas être égoïste et ne penser juste à cette reconnaissance alors qu’elle c’est son quotidien et sa vie tout entière qu’elle oublie ! Mais on a beau nous prévenir, on a beau nous dire que ça va arriver, ça nous brise tout le temps le coeur. J’ai l’impression qu’on m’a enlevé ma mamie. Elle est là physiquement, mais son esprit est absent. Cette mamie, c’est cette femme qui était là auprès de ma maman mes 10 premiers jours d’existence, c’est cette femme qui m’a eue très souvent à la maison quand j’étais petite, c’est cette femme qui prenais le relais quand mes jeunes parents n’en pouvaient plus. Certes, elle se plaignait tout le temps, et combien de fois on m’a dit que je ressemblais à ma grand-mère à force de me plaindre, mais c’est surtout cette femme qui a le plus gros coeur que je connaisse. Une femme remplie de bonté, de bienveillance, d’amour, de naïveté parfois (je vois aussi d’où je la tiens) mais surtout de simplicité, de gentillesse… Une femme qui a tout donné pour ses 7 enfants, une femme que la vie n’a pas aidée mais qui n’a jamais arrêté de se battre. Une femme qui a toujours été plus forte que moi et qui m’a consolée quand Papy est parti. Qui pensait plus à sécher mes larmes qu’aux siennes. Ma mamie, c’est l’une des meilleures personnes que je connaisse et je ne peux pas laisser Alzheimer nous enlever ça…
Depuis une semaine jour pour jour, elle a dû quitter la maison familiale pour partir dans une maison adaptée… Vivre à la maison était devenu trop dangereux pour elle et je suis tout à fait consciente que c’est mieux pour elle mais je n’arrive pas encore à le réaliser. Je n’arrive pas encore à réaliser que sa maison ne sera plus la notre. J’ai pris le temps de parcourir chaque pièce, de regarder chaque détail, de toucher chaque objet, de me rappeler de chaque instant… Ces sourires, ces fous-rires, ces courses dans les escaliers, ces jeux avec les lapins ou dans le bac à sable dans le jardin, ces bêtises à grimper sur le toît. Cette maison, c’est celle qu’elle a toujours connu, ou presque, c’est sa vie. La laisser lui tordait le ventre… Comme par hasard, elle était bien lucide à ce moment-là… Pourquoi les instants de lucidité tombent-ils toujours au mauvais moment ? Comment est-ce qu’elle vit sa nouvelle maison ? Me dire que son premier dimanche seule en maison tombe un jour des grands-mères me rappelle à quel point je suis loin maintenant. Me rappelle à quel point je suis impuissante. Me rappelle à quel point je l’aime et à quel point j’aimerai qu’elle lise ses lignes et qu’elle les relise et relise encore si elle les a oublié. Parce qu’elle aura beau tout oublié, je n’oublierai jamais tous ces moments passés ensemble. Je n’oublierai jamais sa maison. Je n’oublierai jamais ce dernier câlin et ses larmes qui coulaient des deux côtés. Je n’oublierai jamais le bleu de ses yeux et ses petits objets comme ce manège ou ce vélo que j’ai ramené de la maison qui me raccrochent chaque jour à elle. Qu’elle soit à 800kms ou non, elle est toujours dans mon petit coeur. Nous ne serions rien sans nos anciens et nous ne devons jamais oublier tout ce qu’ils ont fait pour nous. Je suis loin d’être la meilleure des petites filles, je suis bien trop souvent absente car dans ma bulle et dans ma vie qui défile à 300 à l’heure mais je ne cesse de penser à eux et sûrement que l’un de mes plus grands regrets quand il seront partis sera de ne pas avoir profité assez d’eux. Mais ça, je ne pourrais m’en vouloir qu’à moi-même.
Bonne fête à mes deux mamies que j’ai encore la chance d’avoir aujourd’hui et à toutes les autres.
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